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Ceci est un blog-roman.
Si tu es perdu, je te conseille d'aller au premier chapitre du roman, qui est tout à la fin, ici.


jeudi 24 décembre 2015

Morgane et Arthur part5 - Enfin en vue



   Morgane et Arthur 5

 
   Morgane commençait à fatiguer. Ils avaient marché toute la journée sans interruption. Ils avaient fait des économies sur l'eau et sur la nourriture et les rares habitations qu'ils avaient pu apercevoir étaient des zones à risque. Arthur préférait de loin trouver une grande ville pour pouvoir se cacher dans la masse d'immeubles et de ruines. Morgane n'osait évidemment pas se plaindre, et elle avait à cœur de trouver un lieu où ils pourraient se poser pour quelque temps. Mais contrairement à Arthur, elle n'était pas très endurante. De plus, elle prenait sur elle la faute de s'être fait agressée près de la rivière. Elle n'aurait pas dû relâcher sa garde et se baigner seule, alors qu'ils étaient loin d'être en sécurité. Evidemment, Arthur en prenait également la responsabilité.
    Alors qu'elle songeait à l'interpeler, Arthur s'arrêta, les jumelles sur le nez.
    « J'ai quelque chose ! S'écria-t-il. »
    Le visage de Morgane s'éclaircit et elle forma des ronds avec ses mains pour regarder dans la direction avec la même précision. Elle ne voyait rien, avant qu'Arthur ne se place derrière elle pour mettre ses jumelles devant elle en lui indiquant la direction. A quelques kilomètres de là, derrière une colline, se dressaient des barres d'immeuble accompagnés d'un parterre de maisonnées toutes semblables les unes aux autres vu d'ici. Néanmoins, Morgane aperçut un élément plus important encore.
    « C'est une rivière que je vois ?
    - C'est même un fleuve, répondit Arthur avec une voix enjouée. Et un fleuve nous conduit tout droit vers la mer ! »
    Morgane se tourna vers lui et décrocha un grand sourire de satisfaction. C'était sans doute la meilleure nouvelle qu'ils avaient eu depuis longtemps. Si mer il y avait, alors la sécurité allait suivre. Du moins, Arthur lui avait plus ou moins promis que les choses se passeraient mieux. Morgane savait très bien que jamais rien ne serait comme avant, mais ça pouvait difficilement être pire.
Ils dévalèrent tous deux la colline sur laquelle ils étaient, pressés de retrouver un domicile, en espérant que les Chanteurs ne les retrouveraient pas. A un moment donné, ils croisèrent une route, un de ces anciens chemins rigides sur lesquels roulaient des voitures à toute vitesse par dizaines. Normalement, ils évitaient la route comme la peste, puisque beaucoup de groupes de personnes possédant encore des objets mécaniques pouvaient l'emprunter. Arthur pressa Morgane de s'en éloigner le plus possible, bien qu'en restant à vue pour ne pas perdre le chemin. C'en était presque inquiétant de voir cette vaste plaine au milieu de laquelle passait la route, aussi désertique que le dessus d'un lac gelé, et peut-être aussi dangereux.
    « Arthur ?
    - Oui ?
    - J'aimerais bien qu'on ne rencontre personne cette fois...
    - Je sais.
    - J'aime pas quand on rencontre des gens. Tu te rappelles de Marie et Mika ? Ils avaient l'air sympa, mais ils étaient comme tout le monde. Pourtant, ils avaient adopté un chien sans poil moche...
    - Ils essayent de survivre, tout comme nous.
    - Mais pourquoi tous ceux qui essayent de survivre ne vivent pas tous ensemble ? On arriverait peut-être à s'y retrouver, et à vivre correctement. Il n'y aurait plus de combats, de violence.
    - … Imagine un groupe de Chanteurs à l'échelle de centaines de personnes. Il y aurait toujours autant de sacrifices et de brutalité, parce que quelques chefs se croiraient plus légitimement forts que d'autres. Mais cette fois, ce serait tout le monde qui pâtiraient de ce mode de gouvernement. On ne peut pas vivre de cette manière. »
    Un cri d'oiseau se fit entendre au lieu, comme la menace d'un faucon sur un animal de taille inférieure.
    « Arthur ?
    - ...oui ?
    - On ne se séparera jamais, hein ?
    - Non, jamais. On sera toujours ensemble. »
    Arthur s'exécuta en déposer un baiser rapide sur la tempe de Morgane.
    Tout à coup, un boucan du diable résonna dans la plaine, faisant écho depuis la vallée jusqu'à la ville. Arthur et Morgane se cachèrent dans un bosquet de plantes mortes qui gisait près d'eux. Une fois couchés au milieu des herbes folles, ils observèrent la scène qui se déroula devant leurs yeux.
Sur la route roulaient des véhicules qui ressemblaient à des gros 4x4 arrangés avec de multiples accessoires. Le bruit des moteurs étaient assourdissant, dénotant de modifications certainement faites pour augmenter la vitesse. En tout cas, ils s'entendaient à des kilomètres à la ronde, et ne prenaient aucune précaution pour être discrets. La fumée qui les suivait montait en diagonale derrière eux, projetant parfois des nuages noirs sûrement malodorants et extrêmement polluants.
    Ils étaient cinq, cinq véhicules chargés à bloc et débordants de personnes. Le plus étonnant restait les espèces de tuyaux accrochés à l'arrière. Ils s'alignaient pour former comme des flûtes de pan géantes. En réalité, ils semblaient plus proches de ces gigantesques instruments qui avaient été installés dans des églises : des orgues. Difficile de savoir si les groupes de gens les avaient installés là pour s'en servir en cours de route ou pour les transporter d'un endroit à l'autre. En tout cas, tout le monde pouvait entendre leur son épouvantable, des notes amplifiées, jouées par demi-douzaine sans aucune mesure. On aurait un requiem démoniaque voulant impressionner tous ceux qui se mettraient sur leur chemin, annonçant une vague de terreur.
    Arthur craignit le pire en voyant ce convoi. Ça ressemblait fortement à un groupe de Chanteurs fanatiques qui s'apprêtaient à mener des rituels musicaux accompagnés de sacrifices à la volée. Il aurait espéré qu'ils passent sans s'arrêter et qu'ils partent très loin d'ici. Malheureusement, ils se dirigeaient vers la ville, probablement pour se réapprovisionner et chercher des nouveaux candidats au suicide.
    Quant à Morgane, elle se blottit contre lui, les lèvres tremblantes.
    « On y va quand même malgré leur présence ? Demanda-t-elle par peur de connaître la réponse.
    - J'aurais aimé te dire non... Mais nous n'avons presque plus d'eau et de nourriture, et la pluie n'arrivera sans doute que dans trois ou quatre jours. »
    En se tournant vers elle, Arthur esquissa un triste sourire. Morgane hocha la tête et inspira profondément. Ils attendirent que le convoi s'éloigne avant de se remettre en route vers la ville dangereuse.

mercredi 23 décembre 2015

Morgane et Arthur part4 - Encore un



   Morgane et Arthur 4
  
  
   Pendant plusieurs jours, ils ont traversé des forêts et croisé des sentiers sans voir personne. La plupart du temps, Morgane et Arthur ne disaient mot. Ils se tenaient par la main et avançaient d'un bon pas, marchant inexorablement presque sans s'arrêter de la journée. Ils faisaient une ou deux pauses pour manger les restes de boîtes de conserve qu'ils avaient embarqué de la dernière ville et pour boire un peu d'eau de source. La nuit, ils stoppaient leur périple et cherchaient un endroit sûr pour dormir, soit dans un arbre, soit dans un endroit caché dans la végétation.
    La cheville d'Arthur le faisait encore grimacer, mais elle lui faisait globalement moins mal. Le premier jour, Morgane avait insisté pour qu'ils marchent lentement, afin qu'il se ménage. Comme elle le tenait par la main, ils devaient forcément avancer au même rythme. Arthur n'avait donc eu rien à dire. La nuit, il s'était surpris à avoir dormi comme une souche, ayant été fatigué par la douleur et l'effort soutenu pour ne pas forcer sur cette cheville. Cependant, il avait repris la surveillance dès la nuit suivante pour ne dormir que quelques heures.
    Par chance, ce matin-là, ils croisèrent une rivière d'eau pure. Arthur testait toujours la qualité de l'eau avant de la faire boire à Morgane. Ils purent remplir leur gourde et firent une pause exceptionnelle. Le lit était encore un peu profond, malgré la chaleur. Alors qu'Arthur faisait un tour des alentours pour surveiller et chercher une habitation, Morgane retira ses chaussures et trempa le pied dans l'eau. Elle était bonne, compte tenu de la température ambiante. Morgane se sentait sale et elle avait très envie de se baigner. Otant le reste de ses vêtements, le gilet, la tunique et le pantalon, ainsi que sa culotte, elle s'engagea dans la rivière. Elle ne sentit même pas la fraicheur qui l'envahit et qui la fit frissonner. L'eau était agréable au contact de sa peau et son corps se détendit complètement. La surface arrivait à son bassin, mais elle pouvait tout de même s'enfoncer plus loin et nager quelques brasses dans le coin où ils avaient déposé leurs affaires. Elle eut envie d'appeler Arthur, mais hausser la voix n'était pas une bonne idée en pleine nature.
    Quand elle en eut assez de profiter de la rivière, Morgane s'extirpa de l'eau pour atteindre la rive. Mais soudain, comme elle levait la tête, elle aperçut un inconnu. Un homme habillé de loques, la fixant, était débout au milieu de leurs affaires. Sa barbe mal rasée et son regard effacé trahissait sa fatigue. Ce devait
juste être un vagabond qui avait besoin des affaires qui trainaient au milieu d'une clairière. Morgane se cacha les seins, oubliant que ça ne servait pas à grand-chose étant donnée sa tenue. Ses cheveux dégoulinaient autour de son visage et son corps immobilisé. Elle n'osa pas bouger, ignorant si l'homme était armé et avec quoi, et s'il était potentiellement agressif. Celui-ci continua à la regarder, l'examinant, s'arrêtant sur ses parties intimes. Et là Morgane vit ce qu'il y avait dans son regard. Cet homme devait n'avoir pas vu de femme nue depuis très longtemps, et ça le déstabilisait.
Il fit un pas vers elle, suivi d'un mouvement de recul de Morgane qui prenait peur et hésitait quant à la conduite à tenir.
    « C'est nos affaires que vous voulez ? Bégaya-t-elle en essayant d'engager le dialogue. »
    L'homme ne répondit pas tout de suite. Il tourna la tête vers les sacs et les vêtements, puis revint vers elle.
    « Il y a un homme avec moi, continua Morgane, il est armé. »
    Elle prit conscience que ses paroles avaient peu de poids, vu qu'Arthur était quelque part dans la nature et qu'elle était seule et nue.
    « Pour l'instant, j'vois que toi, p't'iote, dit finalement l'homme, de sa voix rauque. »
    Il cracha par terre, s'essuyant la bouche et s'approcha encore d'elle. Morgane tenta un pas de plus en arrière, mais son pied atteignit l'eau. La surprise la fit tourner la tête et l'homme en profita pour s'avancer encore. Il la prit brusquement au bras et l'attira contre lui, alors qu'elle tira en arrière pour s'éloigner.
    « Allez, ça fait des années que j'ai pas baisé, souffla l'homme sur son visage. Je vais pas laisser échapper une fille comme ça, et j'ai aucune raison de t'faire du mal... »
    Morgane n'hésita pas et lui envoya un coup de son poing libre. L'homme fut surpris, mais il ne lâcha pas prise pour autant. Pendant ce moment de répit, Morgane en profita pour lui donner un coup de pied au niveau de son entrejambe, ce qui eut pour effet cette fois de le faire reculer en gémissant. Elle commença à s'éloigner à grandes enjambées, cherchant quelque chose qui pourrait faire office d'arme, puis trouva une grosse pierre gisant entre les brindilles asséchées. Le temps qu'elle se penche pour l'attraper, elle fut tirée en arrière lorsque l'homme l'attrapa par les cheveux. La douleur fut foudroyante. Elle tomba à genoux, agrippant la terre pour parvenir jusqu'au caillou, mais l'homme la tirait vers lui, lui arrachant quelques dizaines de cheveux au passage.
    « Viens-là salope, tu vas r'gretter c'que t'as fait ! »
    Il tira d'un coup, la plaquant dos contre lui. D'une main, il lâcha ses cheveux pour coincer son bras derrière elle, la faisant pousser un cri furtif. De l'autre, il empoigna un de ses seins et le serra douloureusement, son souffle projeté dans son oreille. Morgane prit son courage à deux mains malgré la douleur qui l'enveloppait, elle avança sa tête et la projeta violemment en arrière, sentant le choc contre le visage de son agresseur. Celui-ci la lâcha, hurlant à la mort, autant de colère que de douleur. Morgane se jeta sur la pierre, puis elle revint vers l'homme qui se tenait le nez en grognant. Il eut à peine le temps de se tourner vers elle qu'elle le frappa de toutes ses forces à la tête, l'envoyant au sol. Elle lâcha la pierre, recula, attendant qu'il se relève. Mais il ne se releva pas.
    « Morgane !! »
    Arthur arriva en courant, affolé. Arrivant dans la scène du crime, il prit Morgane dans ses bras en la serrant fort. Celle-ci ferma les yeux et oublia sa détresse. Le corps d'Arthur était chaud, elle aurait aimé ne jamais s'en éloigner. Tout ça était beaucoup trop rude.
    « Tu es sûre que ça va ? Poursuivit Arthur. Je suis tellement désolé... J'ai suivi un mec qui nous guettait, je ne pensais pas qu'il y en avait un autre... Je suis désolé ! »
    Il continua à parler tandis qu'il l'embrassait sur tout son visage, ne lui laissant pas le répit de répondre. Puis il s'arrêta brusquement et se retourna vers l'homme à terre qui ne bougeait plus. Morgane lui tint le bras.
    « Il est sûrement mort... Je crois que j'ai frappé fort. »
    Sans l'écouter, Arthur sortit un couteau de sa poche, il se pencha vers l'homme et sans attendre, lui trancha la gorge. Morgane le regarda tristement, gênée qu'il fut obligé de faire ça. Elle alla se rhabiller, pendant qu'Arthur nettoyait son couteau plein de sang. Après quoi, il poussa le corps jusque dans la rivière.
    Morgane frotta ses membres endoloris et remit ses cheveux en place, massant son cuir chevelu. Ce n'était pas la première fois que ses cheveux étaient un handicap pour elle. Pourtant, elle les aimait, et elle savait qu'Arthur les aimait également. C'était douloureux de s'en séparer. Arrivant auprès d'elle, Arthur la serra de nouveau contre lui. Il lui murmura des mots rassurants tout en caressant ses cheveux.
« Il faut qu'on s'en aille d'ici, dit-il en soupirant.
- Oui... Tu as raison. »

dimanche 13 décembre 2015

Chroniques du Dr Tercouëh - 8 décembre 2183



   Chroniques du Dr Tercouëh - 8 décembre 2183


   Je suis allé une seule fois dans l'autre monde, et ce que j'y ai vu m'a désespéré. Nous pensions que notre monde était touché par la faille créée à cause de la collision des deux mondes. Ce n'était rien à côté de ce que les autres ont vécu.
   J'y ai vu un monde dévasté par une force qui le dépassait, comme si l'univers entier avait décidé de cesser de fonctionner et que le chaos se propageait dans chaque fibre qui soutenait le monde. D'après les paysages que j'ai contemplé, je dirais que plusieurs catastrophes naturelles se sont enchaînées, et s'enchaînaient toujours en continu. Les océans ont apporté des raz-de-marée, poussant les gens à abandonner les habitations côtières pour se réfugier dans les terres. Le sol est devenu instable, sujet aux tremblements de terre, rendant caduque la solidité des bâtiments dont nous étions si fiers. La nature s'est mise à périr, comme ça, raréfiant les plantes. L'atmosphère a été modifiée, craquelée, créant un climat de chaleur perpétuel. Lorsqu'en de rares occasions, il ne faisait pas chaud, il pleuvait des cordes, rendant impossible la visibilité extérieure. Mais ces moments-là étaient bénis, car l'eau de pluie était encore potable. En revanche, l'eau courante utilisée dans les canalisations, bien qu'elle continuait à arriver dans les maisons, était devenue irritante, agressant la gorge et blessant les cordes vocales.
   Bien sûr, l'énergie qu'ils employaient couramment, ce qu'ils appelaient « électricité » (une énergie que nous avions autrefois, mais qui a été rapidement remplacée par l'éther et par l'énergie psychique), a cessé de fonctionner, car les relais ont été détruits pour la plupart. Il peut arriver cependant qu'on trouve des batteries chargées en énergie encore fonctionnelles pour faire marcher certains objets. A cause de ça, la vie leur est devenue plus rude, la nourriture plus difficile à conserver et la chaleur plus rare à trouver.
   Quand aux habitants de ce monde, j'en ai rencontré quelques uns.
   Certains vivaient en communauté, en espérant survivre grâce à l'avantage du plus grand nombre, mais il y en avait qui erraient, seuls face à eux-mêmes et faisant difficilement confiance à autrui. Et c'est compréhensible ! Il existait des groupes de fanatiques. Ceux-ci n'hésitaient pas à brutaliser les gens, à les réduire en esclavage, ou à les tuer comme des barbares. Le plus étrange, c'est que j'ai pu rencontré certains de ces fanatiques, ceux qui vouaient un culte à de la musique. Pour eux, la musique peut influencer sur les cordes de l'univers, car en émettant des vibrations, on pourrait modifier l'espace temps. Je dois avouer que ces réflexions m'ont laissé perplexe, et pourtant ils n'avaient peut-être pas tord. Les autochtones les appelaient les Chanteurs, et ils les craignaient car ils employaient des méthodes aussi barbares que d'autres groupes. Simplement, ils kidnappaient et engageaient des personnes dont la voix était belle et non modifiée par les eaux croupies. Je crois avoir entendu qu'ils chantaient et procédaient à des sacrifices, mais je ne pense pas qu'ils aient pu parvenir à un quelconque résultat.

Morgane et Arthur part3 - En-dessous de la voûte



   Morgane et Arthur 3


    Même la nuit, on pouvait voir ces aurores boréales s'illuminer dans le ciel bleu marine. Elles étaient comme une épée de Damoclès au dessus de nos têtes. On savait que c'était mauvais, que ça provenait de catastrophes surnaturelles, que ça avait des conséquences sur la planète et sur tous ceux qui y habitaient. Et pourtant, elles restaient belles, transcendantales, comme des bijoux collés sur la voûte céleste.
    Cachés dans un arbre, Morgane et Arthur regardaient le ciel à travers le feuillage. Ils avaient longtemps couru avant de s'arrêter et de s'installer à un endroit. Ils avaient eu la chance de tomber sur un de ces arbres géants. Ces arbres s'étaient plus ou moins adaptés à ce nouveau monde. Contrairement à beaucoup d'autres qui se mourraient et dont il ne restait qu'un squelette sec, ceux-là avaient muté et avaient grossi pour survivre à ce climat rude. La conséquence indirecte fut que ces arbres, pompant un peu plus d'énergie autour d'eux, brimaient les autres arbres qui les entouraient. Ces arbres géants se retrouvaient alors seuls autour de cadavres d'ancienne végétation. Certaines personnes avaient même fini par vouer un culte à ces entités tellement leur présence et leur solution en imposait.
    « Il faut que tu te reposes, dit Morgane à voix basse. Tu ne peux pas continuer à courir comme ça. »
    Arthur avait beau avoir fait son possible pour cacher son entorse, la distance de course qu'ils avaient parcouru avait accentué la douleur. Il souffrait et il avait eu beaucoup de mal à grimper à l'arbre, surtout dans l'obscurité.
    « Normalement, on n'aura plus à courir demain, lui répondit-il en caressant sa tête. Je pense qu'on les a semés.
    - C'est pas la question, répliqua Morgane en lui donnait sans vergogne un coup de coude. Je peux pas te laisser comme ça. Avec le pansement, ça va s'arranger, mais il faut pas que tu bouges. »
    Leur sac contenait entre autre une maigre trousse à pharmacie avec des bandages. Morgane avait pris le temps de masser puis d'enrouler la bande autour de la cheville d'Arthur. Celui-ci avait beaucoup protesté qu'il n'en avait pas besoin, mais malgré son autorité, Morgane était têtue comme une mule quand il s'agissait de s'en occuper. Parfois, elle se sentait excédée de voir qu'il prenait soin d'elle constamment sans rien accepter en retour. Elle aimait se comporter comme une enfant, mais n'acceptait pas d'être la seule qui avait besoin d'aide.
    « Je ne bougerai pas de la nuit en tout cas, sourit Arthur.
    - Et je t'interdis de rester réveillé ! Lui dit Morgane en retour. »
    De toute façon, Arthur était tellement fatigué qu'il sentait qu'il n'allait pas pouvoir garder les yeux ouverts. Il avait du mal à se laisser aller, mais s'il se retrouvait trop épuisé, il ne pourrait plus s'occuper de Morgane.
    Enlacés au milieu des branches gigantesques de l'arbre géant, ils continuèrent à regarder les étoiles. Morgane était sereine ; elle était complètement blottie contre Arthur, enveloppée par la chaleur de son corps. A ce moment-là, elle se sentait en sécurité et totalement apaisée. Elle percevait les battements de son cœur à travers sa main posée sur son torse et elle respirait son odeur qui s'imprégnait dans ses vêtements. C'était pour ces moments-là qu'elle avait envie de continuer à vivre. Pourtant, ce n'était pas gagné lorsque ce monde commença à se désagréger. Elle chassait constamment de son esprit les souvenirs de son errance sur les chemins, poursuivie par des gens qui lui voulaient du mal, préférant n'y voir qu'un passé obscur qui a cessé d'exister lorsqu'elle a rencontré Arthur. Au début, il n'était qu'un jeune homme avide de savoir, mais d'une générosité sans pareille. Il a rapidement pris Morgane sous son aile, se hissant à la maturité d'un homme de ses maigres bras. Depuis, ils ne se sont jamais quittés, liés qu'ils étaient par des liens plus forts que tout ce qui existait.
    « Arthur ?
    - Oui ?
    - Tu crois qu'on atteindra la mer un jour ?
    - J'en suis sûre. On est encore loin, mais on y arrivera.
    - Et on restera là-bas pour toujours ?
    - C'est un bon endroit où vivre je pense. La plupart des gens ne s'approchent pas de la mer, ils la craignent. Et ils ont raison, elle est dangereuse et imprévisible à présent.
    - On sera en sécurité alors ?
    - Oui, on le sera. Je te le promets. »
    Arthur baissa la tête vers le visage de Morgane. Il entoura sa joue de sa main délicatement, décalant les cheveux de son visage, puis se pencha pour déposer un baiser sur sa bouche. Morgane resserra sa main sur son t-shirt, fermant les yeux pour clore de son esprit tout ce qui les entourait. Le monde n'existait plus, ni le bruit du vent dans le feuillage, ni la lumière de la lune et celle des brèches de l'atmosphère, ni l'obscurité partielle de la nuit, ni l'écorce dure de l'arbre. Il n'y avait qu'eux.

jeudi 19 novembre 2015

Morgane et Arthur part2 - Au coin de la rue



  
Morgane et Arthur 2


    Le soleil commençait de percer la ligne d'horizon. Des couleurs flamboyantes venaient s'ajouter au spectacle silencieux du crépuscule. S'ajoutaient sur la toile du ciel des reflets verts et roses, comme si des aurores boréales s'introduisaient là où elles n'étaient jamais apparues. En réalité, ces modifications de la voûte céleste étaient des conséquences visuelles du changement de l'atmosphère. A cause de ça, un été presque éternel régnait sur le monde, entrecoupé de pluies diluviennes mortelles mais salutaires.
    Arthur se laissait aller à pointer ses jumelles sur ces vagues brillantes qui emplissaient le ciel. Il n'avait pas l'âme poète pourtant, il observait les modifications sur le climat, afin d'essayer de déterminer quand aurait lieu les prochaines précipitations. Il se reprit et braqua son objectif sur la ville. Toujours rien à l'horizon. Cependant, il n'était pas question de baisser sa garde et de se relâcher une seule seconde. Dans approximativement une heure, il n'y aurait plus assez de lumière pour distinguer quoi que ce soit. Il n'était pas permis d'allumer la moindre source lumineuse par crainte de se faire repérer. Mais si les Chanteurs se retrouvaient suffisamment nombreux, ils n'hésiteraient pas à se déplacer en force avec des torches. Dans ces cas-là, les repérer n'auraient plus d'importance.
Sur le canapé de la salle, emmitouflée dans des couvertures, dormait Morgane d'un sommeil profond. Arthur aurait voulu grappiller quelques minutes de sommeil, mais il ne pouvait pas encore se le permettre. Des longues cernes traversaient son visage comme des cicatrices provenant du manque de sommeil. Il s'y était habitué, mais la fatigue restait constante, comme un poids en plus sur ses épaules. Comme ce poids était relatif à la protection de Morgane, ce n'était pas important.
    Comme il retournait à son observation, il remit ses jumelles devant ses yeux. La grande rue qui partait de l'immeuble était déserte depuis longtemps. Des poubelles et des cadavres de voitures y résidaient comme si la rue leur avait toujours appartenu. Rien ne bougeait non plus du dessus de la forêt. Le feuillage des arbres tombait en lambeau comme les résidus d'une peau sèche, lentement, imperceptiblement. A une époque, ils étaient beaux, verts et fleurissants. A une époque lointaine et perdue.
    Soudain, Arthur crut percevoir un mouvement vers une maison. Ses sens étaient en alerte, quand il braqua les jumelles vers cet endroit. Il pria très fort pour que ce ne soit qu'une sensation, mais un mauvais pressentiment l'envahit. Ça ne pouvait être un hasard. La maison était vide et à moitié écroulée, du toit ne restait plus qu'un squelette sans tuiles. Le coin de verdure qui l'entourait peinait à garder quelques brins d'herbe sèche et malgré tout, la barrière tenait encore debout. Arthur ne quitta pas cet endroit du regard, certain qu'il devait s'y trouver quelque chose, ou bien quelqu'un. Il sursauta lorsqu'un lapin sortit de la poubelle tombée à terre. Respirant fortement, il essuya une gouttelette de sueur qui s'était introduit sur son visage tremblant. Il suivit négligemment le lapin du regard, celui-ci sautillait gaiement sur la route. Rien ne paraissait sortir de l'ordinaire, mis à part qu'il n'avait plus sa peau et qu'on voyait les muscles qui entouraient son corps. Arthur faillit le lâcher du regard quand le lapin fut projeté à terre par une pierre. Il se retrouva allongé, sans bouger, vraisemblablement mort ou presque. Arthur déglutit alors qu'il décala lentement son regard vers là où la pierre a été lancée. Un garçon, un adolescent, habillé d'un survêtement plutôt correct et armé d'un lance-pierre. Il avait le visage fermé et le regard dur de ceux qui survivent. Il s'approcha du lapin en prenant son temps et l'attrapa par les oreilles.
    Arthur ne perdit pas une minute de plus et se leva pour aller ranger précipitamment ses jumelles dans son sac à dos. Il secoua Morgane pour la réveiller.
    « Morgane, bouge-toi ! Il faut qu'on parte ! »
    Celle-ci ouvrit les yeux avec difficulté, mais sentant la précipitation dans sa voix, elle se redressa pour se lever.
    « Qu'est-ce qui se passe ? Geignit-elle avec inquiétude. On doit déjà s'en aller ?
    - Ils sont déjà là, répondit Arthur en récupérant ses affaires. Merde ! Je pensais qu'on avait encore un peu le temps, il va falloir qu'on trouve un meilleur endroit. »
    Morgane alla récupérer son sac et y engouffra deux boîtes de conserve qui étaient restées à vue, pendant qu'Arthur décalait le meuble qui bloquait la porte. Une fois leurs affaires récupérées, Arthur prit la main de Morgane et ils passèrent la porte d'entrée. L'atmosphère commençait à s'assombrir avec le crépuscule et Arthur pria pour qu'ils soient loin d'ici quand la nuit arriverait. La cage d'escalier était remplie d'objets aléatoires posés pour gêner l'arrivée de personnes venant d'en bas. Arthur savait précisément par où ils devaient passer, et il guida Morgane pour qu'elle suive ses pas à la lettre. Ils n'avaient pas vraiment besoin de parler s'ils pouvaient s'en passer. L'important était de rester discrets et coordonnés.
    A l'extérieur, on n'entendait pas âme qui vive. L'entrée se retrouvait dans une rue perpendiculaire à la rue principale, cachée par rapport à l'endroit où se trouvait le chasseur de lapin. Chaque côté de la rue était vide et sombre, car les barres d'immeubles cachaient le soleil. Arthur et Morgane se tenaient derrière la porte, observant l'arrivée du moindre mouvement. Arthur se pencha pour murmurer à l'oreille de Morgane.
    « On va vers la forêt. Ne lâche pas ma main. »
    Morgane hocha la tête et resserra sa prise. Sa main à lui était moite et froide, plutôt désagréable au toucher mais elle savait que, tant qu'elle sentirait cette sensation, tout se passerait bien.
    Au top départ, ils coururent se mettre à l'abri entre deux maisons. Ils faisaient très attention de ne voir personne à chacun de leur déplacement et courraient ainsi d'un endroit à un autre le plus rapidement possible. Normalement, ils s'éloignaient des autres, donc ils avaient une chance de partir discrètement sans qu'ils ne soient au courant. Malgré tout, Arthur était au-delà de la prudence. Il scrutait chaque détail du décor, chaque feuille de papier qui s'envolait dans un courant d'air, chaque ombre qui ressemblait à une silhouette. Morgane ne le ralentissait pas, au contraire elle était aux aguets là où lui ne pouvait regarder. Chacun portait son regard dans une direction afin de balayer le périmètre avec efficacité.
    Alors qu'ils s'apprêtaient à traverser une rue, Morgane retint brusquement Arthur et le plaqua au sol derrière la barrière d'une maison. Un bruit de pas heurtant le sol de goudron se faisait entendre non loin d'eux. Morgane bloqua sa respiration et Arthur se redressa contre la barrière, profitant d'une faille pour regarder à travers. Provenant d'un croisement prochain, trainant ses pieds avec nonchalance, marchait un homme de grande taille. Il tenait un bâton dans sa main, et ressemblait à un fermier relativement mal rasé. Bien qu'il soit voûté, il semblait prêt à bondir à tout instant. Arrivé à l'entrée de la rue, il regarda à droite à gauche, s'attendant à voir quelqu'un provenir de leur direction.
    « Arnaud ! S'écria une voix criarde et suraiguë. Tu fais quoi là ? Amène-toi !
    - J'ai cru entendre quelque chose, mama ! Répondit-il avec une voix rauque et grave.
    - Magne-toi, on n'a pas que ça à faire ! »
    Le dénommé Arnaud souffla bruyamment, il brandit son bâton pour le poser sur son épaule puis il fit demi-tour. Avant de repartir, il regarda à nouveau en direction de la cachette, mais il ne s'attarda pas dessus.
    Morgane tira sur le t-shirt d'Arthur pour lui parler dans l'oreille.
    « Il faut qu'on passe par le mur ! On pourra pas faire le tour avec eux ! »
    Arthur se pencha au-dessus de la barrière et regarda le mur en question. Cent mètres plus loin se dressait effectivement un mur en pierre qui devait bien faire plus de deux mètres. L'autre côté menait quasiment directement sur la forêt, ce qui permettrait de disparaître. Néanmoins, le lieu était bien à découvert, bloqué entre deux maison. S'ils passaient par là, ils devraient escalader rapidement sinon ils seraient dans une mauvaise passe. Pendant qu'Arthur réfléchissait, Morgane lui tira à nouveau le t-shirt, le regardant en fronçant les sourcils pour lui indiquer qu'ils devaient y aller maintenant.
S'attrapant la main, ils se précipitèrent jusqu'au croisement et se penchèrent pour vérifier qu'ils n'étaient plus là. La silhouette de l'homme était déjà loin ; normalement ils pouvaient arriver à leur but sans trop de peine. Mais Arthur se méfiait toujours. Voyant qu'il n'y avait aucun danger, ils coururent jusqu'au mur. Morgane mit un pied sur la fenêtre de la maison puis Arthur lui fit la courte-échelle pour qu'elle se hisse jusqu'au toit.
    A ce moment-là, ils entendirent un hurlement. Deux personnes du bout de la rue les pointaient du doigt et couraient vers eux. Affolée, Morgane tendit la main pour faire monter Arthur, qui peinait à grimper.
    « Passe le mur ! J'y arriverai bien sans toi.
    - Pas question ! Je te laisse pas tout seul ! »
   Morgane concentra tout ce qu'elle avait de force pour amener Arthur vers elle, quand ils entendirent un coup de feu.
    « Merde, ils ont des armes à feu, s'exclama Arthur entre ses dents. Vite Morgane ! »
    Celle-ci s'accrocha au mur pour l'enjamber, et sauter de l'autre côté. Arthur regarda derrière lui pour mesurer la distance qu'il y avait entre lui et eux, mais il perdait du temps et une autre balle vint se loger près de son oreille. Il bascula de l'autre côté et sentit douloureusement sa cheville quand il atterrit. Morgane attrapa sa main et ils reprirent leur course en s'engouffrant entre les arbres, pendant qu'Arthur serrait les dents pour oublier la douleur.

mercredi 11 novembre 2015

Morgane et Arthur part1 - La maison


 
   Morgane et Arthur 1


   Mâchonnant sans conviction sa bouchée, Morgane fit une grimace d'écoeurement. Elle reposa sa fourchette sur le bord de l'assiette, à l'endroit où démarrait une épaisse fêlure. Les haricots trempaient avec tristesse dans la sauce blanche, entourant une maigre saucisse pâle, esseulée au milieu du plat. Quand elle eut avalé ce qui macérait dans sa bouche, Morgane leva les yeux au ciel pour marquer son dégoût. Elle posa ses coudes sur la table, une pauvre planche dont les bords s'effritaient, et ignora le regard sévère de la personne assise en face d'elle.
   « C'est tout ce qu'on a, tu sais. »
   Morgane pencha la tête sur le côté et soupira, laissant ses longs cheveux noirs tomber en flot sur la table.
   « C'est immonde. Je déteste ces plats en boîte... Arthur, comment est-ce que tu veux continuer à me faire manger ça ? »
   Continuant inlassablement à porter sa fourchette à sa bouche sans laisser paraître aucune appréciation, Arthur ne répondit pas tout de suite. Morgane repoussa son assiette et s'écarta de la table en faisant bruyamment racler sa chaise sur le parquet. Elle fut interrompue par la violence du poing cogné sur la table.
   « Mange ce que tu as dans ton assiette et ne discute pas. »
   Morgane allait ouvrir la bouche pour répliquer, mais elle se ravisa et se rapprocha du plat qui la faisait fuir. La main hésitante, elle attrapa sa fourchette, glissant sur le manche, et la trempa dans le liquide blanc qui stagnait, telles les eaux d'un marécage. Lorsque trois haricots montèrent sur les dents, elle les souleva pour les amener jusqu'à l'antre de sa digestion. Morgane cessa sa comédie au bout de la deuxième bouchée et elle termina son assiette sans sourciller.
   Quand elle leva les yeux pour indiquer qu'elle avait fini, Arthur avait croisé les bras contre lui et la regardait. Son coeur fondit de plonger dans son regard attendrissant et elle oublia cet arrière-goût de couenne de mauvaise qualité. Elle amena sa main sur la table en direction d'Arthur, pour que celui-ci puisse poser la sienne par-dessus, tendrement. Cette main était toujours glacée, malgré la chaleur qui se dégageait de son corps. Morgane aurait préféré se blottir contre lui, mais le seul contact de sa main suffisait à la rassurer.
   « Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? Demanda-t-elle.
   - On peut rester ici encore quelques jours, mais pas plus. Sinon les Chanteurs nous retrouveront. »
   Morgane baissa la tête, l'air inquiet, essayant d'oublier cette réalité.
   « En attendant, tu peux lire ! S'exclama Arthur. Il y a beaucoup de livres dans la bibliothèque, notamment des contes. »
   Il voyait bien que Morgane s'efforçait de sourire pour lui faire plaisir. Elle quitta sa chaise pour se diriger vers le salon. Pendant ce temps, Arthur empila les assiettes ainsi que les couverts pour les poser dans l'évier en mauvais état. Il tourna le robinet, d'où un léger filet d'eau sorti. Avec le peu d'eau qu'il y avait, il lava la vaisselle, puis la déposer sur le côté.
   Ça faisait déjà cinq jours qu'ils s'étaient installés dans cette maison, et ils ne pouvaient se permettre d'y rester trop longtemps. Une semaine était environ le temps qu'il fallait aux Chanteurs pour chasser les gens et les tuer, ou les garder dans l'espoir d'en faire l'un des leurs. Arthur savait qu'ils convoitaient Morgane, car elle était une femme et elle avait la voix pure. Elle n'avait jamais bu l'eau des égouts, cette eau polluée et calcaire qui rendait la gorge râpeuse et douloureuse. Ceux qui ne trouvaient pas suffisant d'eau douce finissaient par avoir la même voix que s'ils fumaient dix paquets de cigarettes par jour. Ceux-là, les Chanteurs n'en avaient cure, bien qu'ils gardaient parfois les femmes pour procréer. C'est pourquoi Arthur faisait tout pour protéger Morgane de ces créatures. Chaque jour à l'aube et au crépuscule, il scrutait la ville par la fenêtre avec ses jumelles. Il décortiquait tous les morceaux de rue qu'il pouvait voir, toutes les fenêtres des maisons, tous les terrains détruits. Fonctionner comme ça leur a toujours épargné de gros problèmes. Bien sûr, il est arrivé qu'ils se fourrent dans des guêpiers plus d'une fois. Mais Arthur en gardait suffisamment un mauvais souvenir pour qu'il ne se permette plus de refaire la moindre erreur.
   « Arthur ! Tu viens ? »
   Essuyant ses mains sur son pantalon, Arthur alla dans le salon pour répondre à l'appel de Morgane. Elle était à genoux par terre, au pied d'une étagère où la majorité des livres étaient tombés. Se mordillant la lèvre, elle tenait dans ses mains un ouvrage assez léger à la couverture bleue. Lorsqu'Arthur entra dans la pièce, elle se tourna vers lui, les yeux brillants d'excitation.
   « Tu restes avec moi ? Demanda-t-elle avec une petite voix suppliante. »
   Décidément, Arthur ne pouvait rien lui refuser. Et puis, il n'avait rien à faire jusqu'au soir. Il tira vers la fenêtre un vieux fauteuil de grande taille, au dossier arrondi. Comme il était rempli de poussière, Arthur le frappa à plusieurs reprises, lâchant des nuages gris à travers la pièce. Morgane mit sa main devant sa bouche en toussant, puis elle ouvrit la fenêtre quelques secondes pour faire sortir la saleté. Une fois l'air à nouveau respirable et la fenêtre refermée, Arthur s'assit bien au fond du fauteuil et Morgane se précipita contre lui, entre ses jambes. Il referma ses bras autour d'elle pendant qu'elle ouvrait le livre pour le lire. Elle avait trouvé Alice au pays des merveilles, un roman classique qui datant d'un peu plus de 200 ans. Ça n'étonnait guère Arthur qu'elle veuille se perdre dans de telles fictions où les lois du monde tel qu'on le connaissait n'avaient pas prise.


                                   
                                                 ***

   Bonjour à tous, et désolé d'avoir mis autant de temps à reprendre ! Mais ne vous inquiétez pas, cette histoire est loin d'être terminée ! D'autant plus que j'ai décidé de continuer le NaNoWriMo (explications ici) avec cette histoire. Ne vous emballez pas, je ne mettrai pas un nouvel article tous les jours ! En revanche, je pourrais maintenir des délais de publication hebdomadaire pendant un certain temps. Bonne nouvelle pour vous !
Bis : Je m'excuse par avance, il y a eu un petit problème d'espacement, j'essayerai de corriger ça pour la prochaine fois.

lundi 28 septembre 2015

Josselin part7 - La course à l'espoir



   Josselin 7



   Des gouttes tombant du plafond. Un grondement sourd.
    Josselin se réveilla en sursaut, haletant comme s'il avait couru un marathon. Il se tint les bras, passa les mains sur son visage, se tapota les joues. Il n'avait rien. Tout allait bien. Il tenta de retrouver sa respiration en se massant le front. Tout cela n'avait donc été qu'un affreux cauchemar sorti d'outre-tombe, ou plutôt du fond de l'enfer. Autour de lui, il reconnaissait ce décor familier. Il était dans la salle principale du rez-de-chaussée, où il avait été quelques heures auparavant. Quoique... c'était il y a peut-être juste quelques minutes. Josselin ne se souvenait plus. Tout ce qu'il avait vécu devait forcément s'être produit, il n'avait pas rêvé. Pourtant, tout lui semblait confus, et il était là, en une seul morceau.
    « 
Il ne faut pas avoir peur comme ça, Monsieur Marchant. Personne n'aime en passer par là, mais il faut tôt ou tard. »
   
Josselin en tremblait encore. Il n'avait jamais rien vécu d'aussi épouvantable. En même temps, il passait son temps à se faire cette réflexion en ce moment. Ce docteur était un monstre ; il avait essayé de l'opérer, de le découper ou quelque chose dans le genre. Néanmoins, Josselin sentait qu'il n'avait rien, à part une légère migraine sur la gauche de sa tête. Il se palpait tout le corps pour vérifier, mais rien ne lui semblait différent.
   
Je vais pas me plaindre de rien avoir, mais quand même. J'ai dû rêvé...
   
Il était plus que temps de partir. Josselin n'avait plus rien à faire ici, il devait sauver le monde. Il ricana de sa propre pensée. Il n'avait pas le profil d'un super-héros, plutôt d'un cobaye envoyé là où personne ne voulait aller.
    L'hôpital était redevenu vide et silencieux, ce qui n'était pas plus rassurant. Josselin retourna là où il se souvenait avoir trouvé la porte d'entrée. Mais une nouvelle chose le frappa. Elle n'était plus là. Il n'y avait rien, rien qu'un mur nu et décrépi. Josselin se précipita devant celui-ci et frappa. Encore un tour de l'hôpital. Cet endroit changeait de forme à volonté. Quelles étaient les chances de sortir d'ici s'il n'y avait plus aucune sortie ?
    « Laissez-moi sortir d'ici !! »
    Crier n'allait sans doute amener à rien. Mais à un cas aussi désespéré, on tentait tout ce qu'on pouvait faire pour se sortir d'ici.
   
Crier va attirer les autres.
   
Josselin entendit une voix dans sa tête, et il la reconnaissait. C'était la voix de la petite fille. Il se retourna pour chercher son image. Elle était là, assis sur la première marche de l'escalier qui montait, les cheveux dégoulinant de part et d'autre de son visage, son ours en peluche dans ses bras. Il fit un pas vers elle, mais elle disparut aussitôt.
   
Tu ne m'attraperas pas !
    Elle lui parlait encore dans sa tête, mais bien sûr elle n'était pas réelle.
    « Et qu'est-ce que je dois faire pour sortir d'ici ! Hein ? Demanda-t-il à la fillette dans l'espoir fou qu'elle lui réponde. »
    Rien de plus que le silence qui régnait jusqu'ici.
    « Tu n'en sais rien ! Pas plus que moi ! J'en ai marre de tourner en rond comme un lapin en cage ! »
Il donna un coup de pied dans le mur, ce qui eut pour effet de lui asséner une douleur fulgurante sur le bout des doigts de pied. Mais il n'en avait cure, tant qu'il n'avait pas de solution.
   
Je te déconseille de les faire venir...
   
« J'en ai rien à faire ! Se mit à hurler Josselin, sous le coup de la colère. Qu'ils viennent, qu'est-ce que ça peut bien me foutre ?! Je suis dans un hôpital psy, j'ai été poursuivi par un truc bizarre, un docteur m'a peut-être charcuté ou pas, et je vois des fantômes partout ! Qu'est-ce qui peut bien m'arriver de PIRE ?!? »
   
Tant pis pour toi.
   
Josselin eut envie de lui répondre une nouvelle fois, mais un battement venu des profondeur l'en empêcha. Un autre se fit entendre, comme les battements d'un tambour gigantesque qui résonnerait dans les couloirs. Josselin déglutit. Il avait l'impression d'avoir vécu une scène similaire. Bientôt des hordes de monstres arriveraient et se jetteraient sur lui. Alors qu'il était tout seul. Il fallait qu'il s'enfuit, mais fuir où ? Les battements continuaient, de plus en plus rapprochés. Ils arrivaient du sous-sol.
   
Cours.
   
Josselin ne fit pas prier et il se précipita dans l'escalier qui montait à l'étage. C'est à ce moment qu'il perçut les cris, les piaillements qui retentissaient derrière lui. Il était poursuivi, et bientôt, il serait rattrapé par tout ce qui vit ici. Etait-il possible d'être aussi bête pour attirer à lui toutes les horreurs qu'il avait tenté de fuir ? Mais à quoi bon courir, si c'est pour atterrir à un cul de sac.
    L'escalier était plus grand que prévu, mais Josselin eut l'impression qu'il y faisait moins sombre. Pour l'instant, il ne menait nul part. Tout se ressemblait. Même les ombres étaient les mêmes, les ombres qui se mettaient à bouger et à entourer le couloir de marches. Josselin faillit trébucher, mais il se reprit rapidement. Il n'avait pas le droit de s'arrêter, ni même de se retourner. Quelque chose était  derrière lui, reniflant, soufflant, non loin.
   
Monte sur le toit.
   
« Mais je sais même pas comment on accède au toit ! Haleta Josselin sans s'arrêter. »
    Il était possible qu'en montant au dernier étage un escalier de secours démarre du sol pour aller au plafond et au-delà, permettant ainsi de sortir à l'air libre. Mais Josselin en doutait fortement. Si l'hôpital était capable de se transformer au gré de ses envies, ou de l'envie de ses occupants, il ne pourrait jamais sortir par une sortie prédéfinie.
    Ou peut-être l'hôpital obéissait-il à certaines règles.
   
C'est pas trop de le moment de se torturer l'esprit sur des hypothèses à dormir debout ! Rien n'est cohérent ici, je vois pas pourquoi il y aurait des règles.
   
Derrière lui, l'hôpital grondait. Josselin sentit les larmes de détresse couler sur ses joues. Il ressentait de la terreur, la terreur de se faire engloutir, de ne pas savoir ce qu'il adviendrait de soi si jamais la chose le rattrapait. Mourir était différent, quand on savait comment on décédait. Ça aurait été presque plus apaisant.
   
A droite.
   
Josselin ne réfléchit pas et, lorsque les escaliers atteignirent un palier menant à une nouvelle porte, il s'y engouffra, la faisant claquer derrière lui et continuant à courir. Il atterrit dans un long couloir, parsemé de fenêtres trop hautes laissant entrevoir toujours le même paysage, celui d'un ciel orangé couvert de sombres nuages. L'apocalypse était en marche. Des lits d'hôpital barraient le passage par dizaines. Ils n'étaient pas placés là par hasard et Josselin dut faire du entre-dedans pour arriver à avancer.
    Il n'osait toujours pas se retourner.
Dépêche-toi !
    « Je voudrais bien t'y voir ! »
    Au moment où il sauta par-dessus un des lits, quelque chose lui attrapa le pied, le forçant à tomber. Il hurla, s'accrochant à un pied de lit. Mais les roulettes du lit le faisaient glisser vers là où il ne voulait surtout pas être. Josselin donna des coups de son pied libre sur l'espèce de main qui le tenait. Il s'accrochait à tout ce qu'il pouvait pour arrêter de reculer. Un lit se coinça entre deux et il s'arrêta d'un coup sec. En reprenant ses esprits, il en profita pour écraser la main qui le lâcha avec un couinement de surprise, lui donnant l'occasion de se précipiter vers la sortie.
    Il y était presque, la porte était à deux doigts de lui, il pouvait la toucher. Et il fit l'erreur de se retourner.
    La créature était juste derrière lui, le regardant de ses yeux à moitié humains, le corps décomposé par la meurtrissure de la mort. Josselin fut glacé d'effroi.
    Un cri retentit et Josselin se reprit. C'était une voix humaine, un appel. Il passa la porte et découvrit l'échelle dont il rêvait. Au sommet de celle-ci, une main humaine au bout d'un bras s'engouffrait depuis une trappe qui devait mener à l'extérieur. Josselin ne se fit pas prier et grimpa aux barreaux.
    « Monsieur Marchant, vous ne m'échapperez pas si facilement ! »
    La voix du docteur retentit derrière lui, mais il savait qu'elle était maintenant très lointaine. Josselin avait dépassé les limites de la zone instable. Il sortait enfin.
    Arrivant au bout de l'échelle, il tendit la main et attrapa celui qui le sauvait de cet enfer.


    En s'extirpant de ce lieu, Josselin redécouvrit ce qu'on appelait l'extérieur. L'air lui soufflait sa fraicheur au visage, la lumière perçait à travers les nuages pour éblouir ses yeux habitués à l'obscurité, et tout avait la douceur de la liberté. La trappe menait directement sur le toit du bâtiment où il avait été enfermé si longtemps. C'était un toit pentu, mais assez peu pour pouvoir s'y raccrocher facilement. Il était fait complètement de pierre, du haut jusque dans les murs qui atteignaient une hauteur imposante.
    Josselin dut se tenir aux rebords de la trappe pour ne pas tomber. La sensation de liberté et le brusque retour à un espace considérable lui avait fait perdre l'équilibre, le faisant chanceler par le vertige qui lui monta à la tête. Lorsqu'il pu enfin voir ce qui l'entourait, il faillit défaillir une nouvelle fois.
    Il s'attendait à quelque chose, quelque chose qui aurait pu l'éclairer, le réconforter. Il espérait pouvoir sortir de cet enfer pour rejoindre un endroit accueillant. Mais ce qui s'étendait devant lui n'augurait rien de bon pour la suite. Un village tout ce qu'il y avait de plus rural se déployait autour du bâtiment. Composé à la fois de vieilles maisons et de nouvelles bâtisses, il avait dû y faire bon vivre, au temps où il était habité. A présent, il ne restait que le silence, à peine brisé par le vent et le chant des oiseaux qui se faisait le plus discret possible. Aucune animation de quelque sorte ne venait troubler l'ordre d'une ville déserte.
    Le cœur lourd, Josselin ne s'était jamais senti si démuni de sa vie. Alors il se tourna vers son sauveur, dont il avait seulement aperçu la main.
    Assis sur l'arête du toit, l'inconnu demeurait figé dans une pose dramatique et majestueuse. Pourtant, il n'avait rien d'un héros de films d'aventure. Paré de sa plus belle chemise à carreaux, dont le blanc était parsemé d'usure et dont le rouge délavé tirait ses dernière lueurs, l'homme portait seulement un vieux pantalon de jean et un t-shirt simple ayant vécu de meilleurs jours. Son visage arrondi était austère, renfermé et mal rasé, les yeux cachés par des lunettes dont le verre gauche avait souffert de plusieurs fissures. Il paraissait grand, mais pas très vieux.
A peine plus vieux que moi, se dit Josselin.
    Il se tourna vers lui, le perçant de ses yeux bleus.
    « Bienvenue dans le vrai monde, s'écria-t-il en forçant sur sa voix plutôt douce. Dans quelques temps, tu ne vas pas beaucoup me remercier de t'avoir tiré de là. »
    Josselin se redressa, osant alors lâcher prise et maîtriser la gravité. Il plissait encore des yeux sous l'effet de la lumière, mais répondit à l'homme.
    « Mais qui es-tu ? Et où sommes-nous au juste ? »
    La réponse lui étant sûrement négligeable, l'autre haussa les épaules.
    « Nous ne sommes plus chez nous. »
    Josselin n'eut pas le temps de répondre qu'il fut frôlé par quelque chose d'apparemment vivant et de volant. Lorsque la chose revint vers lui, il n'en crut pas ses yeux. Il avait tout l'air d'être un oiseau, mais à la place des ailes et de la tête, il y avait un crâne aux orbites vides, et des os qui le faisait planer sans peine. Ouvrant son bec grisâtre pour se manifester, une plainte croassante en sortit, malgré l'absence évidente de cordes vocales. Josselin eut réellement envie de pleurer. Il ne savait pas où il était, mais une chose était sûre : il n'était pas sorti de sa torpeur.



samedi 19 septembre 2015

Josselin part6 - le docteur



   Josselin 6
 

    Et si tout cet univers n'existait pas ? Et si tout se qui se passait n'était que chimères ?
    L'esprit de Josselin était emmêlé dans un enchevêtrement de fils barbelés coupants qui retenaient ses peurs, prêts à l'enfermer dans ses cauchemars. Plus il voyait d'horreurs, plus la folie le gagnait. Physiquement, tout allait bien pour lui. Il ne s'était jamais réellement mis en danger. Il n'avait pas besoin de ça pour vivre dans la crainte.
    L'ascenseur descendait depuis un bon moment. Il menait certainement jusqu'en enfer. Cela n'aurait nullement étonné Josselin de voir les portes s'ouvrir sur un océan de flammes survolé par des diablotins ricanants. Il aurait été attrapé par les bras et mené vers Sa Seigneurie Lucifer, pour enfin connaître les tourments éternels.
    C'est vraiment trop judéo-chrétien comme vision. L'enfer est ici même, dans cet hôpital. Même mourir brûlé serait une délivrance comparé à ce que je vis depuis mon arrivée.
   
La cabine s'immobilisa brusquement. Josselin fut projeté sur le sol, heurtant violemment ses fesses contre la plaque de fer. Plus un bruit ne venait s'introduire dans cet espace exigu, même pas les grincements de la machinerie. Josselin attendit patiemment que la porte s'ouvre, cloué à terre, n'osant pas se relever. Mais aucun mouvement. Il fallait faire quelque chose pour sortir d'ici. Josselin se redressa sur les genoux et s'approcha des battants. Il les toucha du bout des doigts, glissant sur la surface rude et écorchée, n'y exerçant aucune pression. Il déglutit.
    Soudain, la porte s'ouvrit avec fracas. Ce ne fut pas l'enfer qui attendait de l'autre côté, seulement une salle d'attente, décorée de manière aussi désuète que l'étage du bâtiment. Josselin jeta un regard furtif, puis entreprit de se lever. Dès qu'il posa les pieds sur le plancher de la pièce, une musique retentit. Une mélodie au piano qu'on aurait pu croire sortie d'une boîte à musique. Cet air lui dit quelque chose, mais il ne parvint jamais à placer un nom dessus.
    « Monsieur Marchant ? »
    Josselin sursauta au son de la voix qui venait de l'appeler. C'était une voix humaine, féminine. Il n'aurait pas cru l'entendre à nouveau un jour. Il fit quelque pas en direction du comptoir sur la gauche. Derrière celui-ci se tenait une femme habillée en infirmière. Avec la lumière, ses lunettes cachaient ses yeux, baissés sur les papiers qu'elle tenait. Josselin songea encore une fois à une ruse de l'hôpital. Cette femme ne pouvait pas être réelle, c'était impossible. Plus rien n'était vivant en ces lieux. D'ailleurs, l'intérieur de la pièce paraissait plus propre et neuf que le reste du bâtiment. Encore une illusion. Sur la droite, au-dessus de l'alignement de chaises, des affiches et des prospectus s'accrochaient aux panneaux de liège. Certains représentaient des têtes de personnes mises à prix. Mais les visages étaient flous, indistincts. C'était comme si l'ensemble avait été remis à neuf par un filtre photoshop mal fait.
    « Monsieur Marchant, le docteur vous attend. »
    L'infirmière s'était tournée vers Josselin et le regardait, même si ses yeux étaient toujours invisibles. L'interlocuteur se tourna vers elle, ne sachant pas quoi faire.
    « Le docteur ? Arriva-t-il à articuler.
    - Oui,
le docteur. Vous avez bien pris rendez-vous ? »
    Josselin eut du mal à se retenir de rire. Evidemment, avant de venir, il avait pris son téléphone et appelé le docteur pour prendre rendez-vous, car il était sûr de venir à cette heure
précise. Puis, il se reprit. Si l'infirmière le prenait mal, elle pourrait lui sauter au cou et le déchiqueter en un clin d'oeil. Personne n'était normal ici.
    « Ah, hum... oui, bien sûr. Je peux y aller ?
    - Je vous en prie. »
    L'infirmière replongea dans ses papiers sans lui prêter plus attention. Josselin avait essayé de lire sans succès l'étiquette collée sur sa poitrine, mais comme le reste du décor, elle restait floue. Quoique connaître le nom de son infirmière ne l'aurait pas aidé outre mesure.
    De l'autre côté du comptoir, une porte ouvrait sur le reste du cabinet. Sûrement là où l'attendait le docteur.
    Josselin hésita avant d'y entrer. Tout allait mal se passer, il le savait. Quelque chose attendait sa venue, là-bas dans les profondeurs. Cette chose ne pouvait pas être bienfaisante. Mais il n'y avait pas d'autre sortie, et l'ascenseur risquait de ne plus marcher.
   
Respire Josselin, c'est peut-être le seul moyen de sortir d'ici.
    Une grille bloquait la route. En poussant un peu, Josselin s'aperçut qu'elle s'ouvrait sans aucune difficulté. Une ampoule grésillait au plafond, renvoyant une lumière pâle dans le cabinet. Un homme de dos était affairé sur son plan de travail. Il ressemblait à un méchant dentiste, le genre de médecin qu'on n'a surtout pas envie de rencontrer et qui hante nos cauchemars d'enfant. Des bruits de roulette et d'instruments de torture se faisaient entendre. Josselin grimaça, l'estomac tordu par une frayeur indicible qui se développait en lui. Peut-être était-ce seulement la faim qui le grignotait petit à petit depuis ces dernières heures. Non. Cet homme lui donnait envie de fuir d'ici le plus loin possible. Comme tous les monstres qui habitaient l'hôpital d'ailleurs.
    En cognant son pied dans un manche de clé à molette, Josselin attira l'attention du docteur. Celui-ci se retourna et un grand sourire se dessina sur son visage. La grandeur de sa personne était compensée par son dos voûté et sa jambe métallique, remplaçant son membre gauche. Mais sa blouse blanche et ses rides d'expression ne trompaient pas. C'était un docteur diabolique, prêt à faire des expériences sur tous les sujets qu'il aurait sous la main.
    « Monsieur Marchant ? Je vous attendais... Installez-vous donc.
    - C'est-à-dire que... je ne suis pas malade vous savez. »
    Josselin ne bougeait pas. Il était hors de question qu'il s’assoit sur le lit d'hôpital qui se dressait devant lui. Il y avait des sangles et des menottes qui l'empêcherait de bouger. Il serait prisonnier.
Le docteur marchait avec difficulté jusqu'à ses étagères, triant ses outils avec précision.
    « Pas malade ? S'exclama-t-il à la surprise de Josselin. C'est moi le docteur. C'est à moi de décider si vous êtes malade ou non. Vous ne croyez pas ? »
    Évidemment, vu comme ça, c'était l'évidence même. Josselin se retourna et s'aperçut que la porte avait disparu. Il n'y avait rien qu'un mur qui surplombait cette face de la pièce.
    « Je suppose... Mais quand même...
    - Monsieur Marchant, je n'ai pas toute la journée. Installez-vous je vous prie ! »
    Le haussement de ton dans sa voix révélait son exaspération grandissante. Par une énergie du désespoir, Josselin se retint de paniquer et se dirigea vers le lit. Il ne pouvait pas s'asseoir, il ne
devait pas s'asseoir, mais c'était plus fort que lui. Quelque chose lui disait qu'il aurait des réponses en s'installant ici, pendant que son instinct lui disait de partir. Le brancard avait l'air relativement solide malgré son apparence. Josselin se mit sur la pointe des pieds pour poser son postérieur sur cette surface légèrement moelleuse et froide. Pendant ce temps-là, le docteur continuait son discours.
    « Il ne faut pas avoir peur comme ça, Monsieur Marchant. Personne n'aime en passer par là, mais il le faut tôt ou tard. Sinon vous vous réveillez un jour en vous rendant compte que rien ne va plus dans votre vie. Et alors... »
    Le docteur se retourna, une pince dont les bouts ressemblaient à des cuillères à la main, un rictus satisfait sur son visage.
    « C'est là qu'il faut tout changer ! »
    Josselin faillit hurler, et se précipita pour descendre du lit, quand le docteur l'attrapa violemment par l'épaule avec une vivacité étonnante. Sans qu'il n'ait pu rien faire, Josselin se retrouva attaché avec les sangles, suppliant le docteur de le laisser partir, laissant les larmes couler le long de ses joues.
    « Allons, allons, il ne faut pas se mettre dans des états pareils, reprit le docteur en tapotant l'aiguille d'une seringue tranquillement. Vous verrez, ça ne vous fera pas mal.
    - Mais qu'est-ce que vous me voulez à la fin !?! cria Josselin sur un ton hystérique. Vous allez me dire ce que je fiche ici ?!? »
    Le docteur fit une moue de désappointement, avant de se pencher sur son patient.
    « Enfin, Monsieur Marchant, vous êtes là pour nous poser des problèmes. Vous venez de l'extérieur et vous voulez nous empêcher de faire notre travail. Petit fouineur... »
    Alors il enfonça l'aiguille dans le cou de Josselin qui hurla à s'en éclater la gorge. Puis tout bruit cessa de se faire entendre. Le flou revint brouiller sa vision. Il perçut vaguement les outils s'entrechoquer au-dessus de lui, la pince du docteur s'affairer dans sa tête, la perceuse tourner devant ses yeux. Il ne comprenait pas ce qui se passait, mais il ne sentait également plus rien. Dans son esprit, il entendait cependant un rire. Le même rire que dans la chambre. La petite fille était assise sur l'établi du docteur. Depuis quand était-elle ici ? Josselin n'aurait su le dire. Ce fut comme si elle avait toujours été là...

    « Le projet Otherworld est un projet top secret. Il doit servir à empêcher l'autre monde d'agir sur celui-ci. Il doit servir à réparer la harpe qui entoure l'univers. Il doit servir à réparer la brèche. Des gens doivent être envoyés pour trouver une solution dans l'autre monde. L'autre monde aspire l'énergie de celui-ci, il faut l'en empêcher. Rapport du Docteur Tercouëh, le 4 mars... »


                                                                                           ***
                                          J'essaye de faire la suite pour samedi prochain maximum !

mardi 1 septembre 2015

Josselin part5 - La chute


   Josselin 5


    La morgue. Cet endroit devait se trouver au sous-sol. Josselin déglutit. Il revoyait déjà les souvenirs de tout ce qui lui était tombé dessus durant ces dernières heures. Ce n’était sans doute pas grand-chose face à ce qui l’attendait là en bas.
    Josselin errait encore quelque temps dans cet étage, appréhendant le moment où il devrait se décider. L’ignorance de la situation l’avait rendu inconscient face au danger. D’habitude, c’était plutôt l’inverse. L’imagination avait tendance à envenimer les choses, à rendre les objets plus effrayants qu’ils ne l’étaient. Les esprits de ce bâtiment jouaient là-dessus pour impressionner les
intrus. Sans parler de la présence de l’inhibiteur. Josselin maugréait encore du fait que le docteur Marsh ne l’ait pas prévenu des effets de l’objet. Par habitude, Josselin n’avait même plus fait attention à cette puce introduite dans sa nuque. Une grande partie de la population en possédait un. Néanmoins, il se pouvait qu’il avait un lien avec le problème Otherworld…
    Ce n’est pas tellement le moment de réfléchir à l’avenir de l’humanité. Je suis coincé ici en attendant de trouver une sortie… ou un bon pied de biche.
    Josselin aspira une grande bouffée d’air, puis retourna vers les escaliers. En passant devant le débarras dans lequel il s’était caché, Josselin tiqua. Il fut persuadé pendant un instant que la pièce avait rétréci. Mais c’était sans importance.
    L’escalier avait l’air encore plus effrayant vu d’en haut. Josselin y mit un premier pied avec une lenteur extrême, comme si un piège allait se déclencher. La marque gluante n’y était plus. Qu’une créature étrange traine dans les escaliers était une chose. Que toute trace de cette créature ait disparu était d’autant plus effrayant. Comme si ça n'avait été qu’un mauvais rêve.
    En même temps, tu es dans une zone instable mon vieux. Rien n’est vraiment réel.
    Il descendit alors les marches, l’esprit aux abois. L’escalier tournait et tournait indéfiniment. Josselin en avait de plus en plus assez d’être seul. Il avait envie de pleurer et d’abandonner son corps dans un coin en attendant son heure. Mais ce n’était pas le moment de craquer. Sinon à quoi auraient servi les tests du docteur Marsh ? D’ailleurs Josselin se dit qu’il ne pouvait plus vraiment faire confiance au docteur, ou boire ses paroles comme s’il ne lui avait dit que la vérité. Il était un cobaye, les tests ne servaient à rien d’autre que de lui faire croire qu’il allait sur Mars comme un astronaute accompli. Et même Otherworld ; est-ce que ce projet existait bel et bien ?
    Tout ça n’était pas clair. Mais il n’y aurait peut-être plus jamais d’occasion d’aller se plaindre aux scientifiques. Cette maison pouvait très bien se retrouver être son tombeau.
    Une fois la dernière marche enjambée, Josselin souffla. Il leva la tête pour apercevoir un immense escalier en colimaçon qui semblait monter jusqu’aux étoiles.
    Ouh, je crois que la fatigue me monte à la tête.
    En baissant la tête, il se heurta à une porte d’ascenseur. La présence d’un tel appareil était étrange compte tenu de la teneur des lieux, mais surtout il y avait déjà un escalier qui menait au sous-sol. A moins que celui-ci ne mène en réalité à un autre endroit.
    C’est pas trop le moment de le prendre la tête là-dessus, il faut y aller.
    Josselin appuya sur le bouton rouge sur le coté, puis un bruyant grondement sortit de sous ses pieds. La porte tremblait légèrement pendant que la plateforme de l’ascenseur s’élevait jusqu’à cet étage. Le transport avait quelque chose d’antique, alors que l’hôpital semblait récent. Josselin songea enfin à quelque chose qui le fit reculer d’un pas.
    Merde, et si un truc sort de l’ascenseur quand ça s’ouvre ? Je suis pas préparé à ça, je veux pas revoir l’autre créature débouler devant moi !! Je devrais remonter. Après tout, il n’y a sûrement rien à faire en bas…
    La porte s’ouvrit et Josselin sursauta avec un hoquet de frayeur. L’espace exigu était vide, bien que rempli de toiles d’araignée et de grumeaux de poussière entassés dans les coins. Josselin appuya son pied sur la plateforme mais il ne fut pas plus convaincu que ça de la solidité de l’ensemble. Et pour cause : il ressemblait à un monte-charge conçu pour des taches industrielles. La cabine était en métal grossier d’où sortaient des gros boulons de chantier et le sol était grumeleux et résonnait dès qu’on le frappait un peu fort. Par-dessus le marché, le tout tanguait au moment de s’y introduire. Finalement, Josselin aurait peut-être préféré une créature affreuse.
    Malgré tout, prenant son courage à deux mains, il entra tout entier dans la cabine, crispé et s’attendant à ce qu’elle lâche à tout moment. Il agrippa la manette encordé qui pendait du plafond juste au cas il devrait s’accrocher à quelque chose au moment de la descente. Comme rien ne bougeait, Josselin se pencha sur la colonne de boutons affichée à côté de la porte. Il y en avait plusieurs, tous de couleur rouge, sans aucune différence physique pouvant donner un indice sur leur utilité. Josselin se décida alors à pousser le premier. L’ascenseur enclencha une vive secousse, vibra légèrement puis entama sa descente. Jusque-là, il semblait bien marcher et ne poser aucun
problème, mais Josselin n’en ôta pas pour autant sa main de la manette.
    Au bout de quelques minutes à peine, la cabine s’immobilisa et la porte s’ouvrit bruyamment.
    Pour la discrétion, c’est raté.
    Le sol était fait de carrelage humide, détrempé. Les murs en pierre dégoulinaient de mousse et de moisissures et de la boue sortait des fissures béantes. Une puanteur visqueuse se dégageait de cet étage. A l’époque, on aurait pu le prendre pour des sanitaires collectifs, mais à présent personne d’assez sale ne voudrait se servir de ces pièces. Un couloir semblable à celui du premier étage continuait tout droit et offrait des bifurcations menant sans doute à des douches ou des vestiaires.
Josselin n’avait aucune envie de s’introduire plus avant. Il gardait la main devant sa bouche, le nez bouché, évitant de respirer les émanations environnantes. De plus, ça ne ressemblait pas à une morgue, donc inutile de s’attarder.
    Cependant, avant de se pencher à nouveau sur les boutons, Josselin se décala pour maintenir son regard sur une fissure qui s’étendait au-dessus d’une ouverture. Elle se distordait. Josselin ne trouvait pas d’autre mot à mettre sur ce qu’il voyait. La fissure s’étirait en se tordant dans tous les sens, comme si le temps était accéléré pendant qu’il faisait son office en abimant le mur. Écarquillant les yeux pour mieux voir, Josselin entrouvrit la bouche pour laisser échapper un gémissement de plainte. Tandis que la fissure devenait plus large et ouverte, une patte fine, noire et velue en sortait, puis une autre, et encore une autre, essayant de s’extirper du trou à mesure qu’il écartait les parois. Paniqué, Josselin appuya sur un bouton au hasard, le mitraillant pour qu’il réagisse le plus vite possible, alors que d’autres pattes apparaissaient dans son champ de vision. La porte consentit enfin à se refermer, laissant Josselin s’aplatir contre le mur du fond, tremblant de tous ses membres, essayant de maintenir son calme.
    Puis un choc ébranla la cabine, faisant cesser toute activité. Josselin prit une bouffée d’air et se décolla du mur pour appuyer à nouveau sur un bouton. L’ascenseur se remit en marche avec peine. Tout à coup, un second choc heurta la cabine, et celle-ci se mit à accélérer pour descendre de plus en plus vite. Josselin jura contre lui-même, sachant pertinemment que ça devait arriver. Il se tint à l’entrée de la cabine, pendant que son rythme cardiaque accéléra à l’idée qu’il allait tomber au sol et s’écraser lourdement. Il recommença à appuyer sur des boutons pour tenter d’avoir une quelconque réaction. C’était presque trop facile que ça lui arrive maintenant. Pourquoi les esprits de cet endroit l’avaient laissé survivre pour le faire mourir dans un vulgaire ascenseur ? C’était ridicule. Josselin avait beau essayé de se le mettre en tête, il était toujours en train de descendre à une vitesse phénoménale dans les tréfonds de l’enfer.



                                                                                      ***
  Plus que deux chapitres avant le dénouement ! La suite pas avant deux semaines, je vais être très occupée.

lundi 31 août 2015

Chroniques du Dr Tercouëh - 27 novembre 2183


    Chroniques du Dr Tercouëh – 27 novembre 2183

    Je me souviens parfaitement de cette journée. Je crois que c’était en avril ; début avril. Il faisait frais, l’air s’adoucissait. J’étais venu voir un monstre de foire, une expérience inexplicable. Le docteur Mørl Byløne, un expert scandinave des troubles psychiques, m’avait invité à venir voir l’avancée de ses observations.
    C’était un ami que j’avais rencontré au cours d’un colloque en Allemagne. Surpris de la quantité d’alcool que certaines élites pouvaient ingurgiter, j’avais été ravi de constater qu’il en est toujours un pour vous emmener dans les toilettes les plus proches. Mørl était un sacré bout en train, un peu cynique, surement dû à sa nature nordique.
    Je fus convié à la clinique Ste Anne. Dès mon arrivée, j’ai tout de suite senti le froid qui traversait les infirmières à la seule mention du nom du patient et de son docteur. Mørl m’accueillit avec enthousiasme et me mena directement au jardin de la clinique, malgré mes nombreuses interrogations. Je compris immédiatement l’ampleur de la situation à sa vue.
    Elle s’appelait Lucie. Cette petite fille était française par adoption, sans plus d’informations sur ses parents biologiques. Elle était assise dans un fauteuil roulant, le regard dans le vide, la bouche entrouverte. Une infirmière se penchait sur elle pour essuyer un filet de bave qui coulait le long de son menton. Mørl congédia cette dernière et se baissa vers Lucie. Celle-ci sembla lever la tête en sa direction, pourtant son regard demeurait dans le vague. Après cet aparté, Mørl m’expliqua ce qu’il en était réellement.
    Il espérait prouver que Lucie était la première personne à avoir traversé le « voile ». A cet époque, on ne savait toujours pas très bien de quoi nous parlions. Le grand public même était totalement ignorant de l’énormité que découvraient les scientifiques. Lucie avait disparu de la surface de la Terre durant un mois entier, pour être finalement retrouvée dans un champ de Normandie, en France. Elle était déjà dans le même état : hébétée, le teint pâle, incapable de prononcer le moindre mot ou de transmettre la moindre émotion. L’expérience de la traversée l’avait changée en légume. Et elle ne possédait pas d’inhibiteur. Mørl soupçonnait que ce ne fut pas les fonctions cérébrales habituelles qui avaient été touchées, mais la mémoire à court terme. Visiblement, la mémoire avait été affectée par une onde de choc se répandant de plus en plus profondément. Au fur et à mesure, Lucie ne se rappelait plus qu’elle était un être humain, capable de penser et d’interagir avec le monde. Cette hypothèse devait expliquer son état.
    Je dois avouer avoir été assez sceptique. Mais la vision de cette fillette dans cet état m’émut. Mørl ne s’était pas pris d’affection pour elle, il n’y voyait qu’un sujet d’expérience. Je lui en ai toujours voulu d’être aussi pragmatique.

    Mørl fut le premier à me manquer. Il n’y avait que lui qui comprenait.


                                                                                        ***
                                                                         La suite demain soir !

dimanche 16 août 2015

Josselin part4 - La découverte



   Josselin 4

 
    Blotti dans un coin, Josselin se tenait en boule, les jambes repliées devant lui, les yeux grands ouverts, crispés.
    Je veux pas rester ici. Je veux pas rester ici. Je veux pas rester ici. Je veux pas...
    La peur commençait à le paralyser. Certes, il était toujours capable de mouvements, mais il devenait psychologiquement fragile. Il s'était senti d'abord comme un rat de laboratoire. Le docteur Marsh l'utilisait sans doute seulement pour des expériences sordides dont il ne devait pas donner la véritable nature. Mais à présent, tout ce qu'il voulait, c'était sortir d'ici. Et survivre.
    Le silence avait envahi les lieux après la débandade de Josselin dans les escaliers. Un léger bruit de vent venait de l'extérieur, ainsi que des sons ténus de maison, comme des craquements, se faisaient entendre au loin. Josselin s'était tu avec nervosité après s'être réfugié dans son coin. Le cri qu'il avait poussé avait dû alerter toutes les créatures qui trainaient en ces lieux.
    Elles jouent avec moi, comme le docteur Marsh a dû se jouer de moi. Il faut que je fasse quelque chose. Je ne peux pas rester là, elles vont me trouver !
    Mais Josselin avait beaucoup de mal à commander à son corps de se lever. Lentement, il décrispa les jambes et écarta les bras de son corps. Il s'aperçut qu'il se trouvait dans un genre de cagibi. A côté de lui, des étagères vides longeaient le mur jusqu'à l'encadrement de la porte laissé béant. Josselin s'accrocha aux étagères pour se soulever, puis il fit plusieurs pas pour atteindre la sortie de la pièce. Il glissa sa tête de l'autre côté du mur en se méfiant de ce qui pourrait le voir. Mais le couloir était vide. Il tourna la tête et vit les escaliers de loin, eux aussi vides. Le sol était propre, quoique poussiéreux. Aucune trace de la créature.
    Il était temps de partir dans ce couloir.
    Cet étage faisait moins rudimentaire que le précédent. Il y avait vraisemblablement d'autres chambres, mais pas celles de patients. Elles contenaient un lit, ainsi qu'un bureau et de plusieurs étagères. Il y restait encore quelques papiers, du même genre que Josselin avait trouvé au rez-de-chaussée. Ce devait être les chambres de médecins, ou du personnel.
    Attend, tout le monde logeait dans cet hôpital ? Ca devait être joyeux les nuits...
   
Au moindre bruit, Josselin se retournait nerveusement et examinait chaque recoin. Il craignait une attaque de toute part à présent.
    Il aperçut enfin une fenêtre que les planches ne recouvraient pas totalement. Il se précipita pour essayer de distinguer quelque chose qui aurait pu l'aider. Poussant une chaise contre le mur, il se dressa sur la pointe des pieds pour se tenir au-dessus des planches. Bien sûr, il ne voyait quasiment rien, essentiellement le ciel. Celui-ci était rempli de nuages et brillait d'une teinte orangée, comme si le crépuscule ou l'aube pointait son nez. Cette vision rassura et inquiéta Josselin. L'extérieur existait belle et bien, mais l'image de ce ciel n'augurait rien de bon.
   
Bien sûr que l'extérieur existe, pourquoi il n'existerait pas ? Si j'étais tombé dans une autre dimension...
   
Soudain, la chaise craqua et Josselin eut juste le temps de se raccrocher à la planche du haut pour ne pas s'écrouler lamentablement avec la chaise. Il fut suspendu comme ça pendant quelques secondes, le temps de comprendre ce qu'il venait de se passer ; puis il se laissa tomber lourdement sur le sol. La chaise était en morceaux, comme si on l'avait déchiqueté de toute part. Quelque chose lui voulait encore du mal.
   
Évidemment, rien ne va plus ici. Je ne serai jamais en sécurité.
    Il s'éloigna rapidement de la fenêtre et continua son exploration de l'étage. Même sans conviction, il continuait à examiner les papiers qui trainaient ça et là dans les bureaux. On voyait bien qu'il manquait des choses importantes, ne restant que des données inutiles ou erronées. Les rapports de l'état de santé des patients auraient pu être intéressants s'ils n'avaient pas été complètement faussés. Certains rapports étaient mal écrits, d'autres écrits dans une langue de symboles inconnus, d'autres encore voyaient les lettres de leurs mots inversées. Impossible de suivre quelque chose de plausible dans ce cadre-là.
    Puis, dans une des chambres, posé sur le lit aux draps défaits, Josselin trouva un carnet épais aux couvertures de cuir. Il se jeta dessus et feuilleta les pages à toute vitesse.
    « Nooooooon !!! »
    Il n'y avait plus rien. Rien que des pages vides, blanches, écornées. Comme si quelqu'un avait aspiré toute l'encre contenu dans le papier. Josselin serra les dents et frémit de colère. Il avait recherché ce carnet pour rien. Au final, il était toujours aussi perdu, dans un endroit aussi déconcertant que terrifiant.
    Au loin, il entendit des rires ténus. Il se retourna sans en percevoir l'origine, mais il devinait qui pouvait bien se moquer de lui. C'était injuste de subir des quolibets venant de personnes immatérielles sans pouvoir se défendre.
    A force de remuer les pages pour chercher un semblant de reste d'indices, Josselin tomba sur les deux dernières pages, seules vestiges persistants de l'objet.
    Otherworld
    Morgue
   
Malgré son amnésie, le premier mot vint instantanément tinter dans sa tête comme une sonnette d'alarme. Otherworld était le nom d'un projet spécial créé par Uther Waterworld, dont le patronyme lui avait été donné ironiquement pour ses idées bien tranchées sur la fin du monde. Cet homme fut l'investigateur du projet, mais son rôle s'arrêta là quand le relai fut pris par nombre de scientifiques et de philosophes expérimentés. Ce projet devait parer à l'éventualité que les récents problèmes du monde étaient dus à la base à l'énergie produite par l'inhibiteur psychique. Les avancées technologiques considérables avaient mené à la découverte de ce que poétiquement les gens appelaient « le voile » ou « la harpe ». Un autre monde...
   
Aaaaaah...
   
Une douleur fulgurante traversa le crâne de Josselin. Il pensait trop, c'était mauvais pour ses problèmes de tête. Comment avait-il pu oublier le projet Otherworld ? Et pourquoi ce mot perdurait dans ce carnet alors que tout le reste a été effacé ?
    Le deuxième mot lui donna des frissons dans le dos. Il savait au fond de lui qu'il devait affronter cette idée tôt ou tard, mais il aurait préféré que ce soit le plus tard possible. Les escaliers menant au sous-sol lui revenaient en mémoire avec une frayeur non dissimulée. Quel que soit ce qui l'attendait là-bas, ça l'attendait de pied ferme, avec des leviers pour le forcer à venir.


  

vendredi 31 juillet 2015

Josselin part3 - La créature


♫ Castlevania Symphony of the Night
~ Door of Holy Spirits


   Josselin 3


    Après s'être allègrement charcuté la nuque, Josselin ramena sa main devant ses yeux, avec un petit objet recouvert de sang et de lambeaux de peau. Il ressemblait à une puce et ne mesurait à peine que 2 ou 3 millimètres. Josselin lâcha l'objet à terre, tentant de reprendre ses esprits. La douleur était supportable, compte tenu de l'apaisement qu'il ressentait à ce moment précis. Les voix dans sa tête avaient disparu, ou en tout cas elles étaient très lointaines et effacées. Il était à nouveau libre de ses mouvements. En se relevant, il constata que la chambre était vide, et qu'elle avait repris un aspect sombre et froid. Cependant, le lavabo était rempli à ras bord d'eau.
    J'ai de plus en plus l'impression d'être surveillé. C'est pas très agréable...
   
Sans se demander si l'eau était propre, Josselin s'y passa les mains et nettoya la plaie qui palpitait derrière sa nuque. Heureusement, la puce se plantait quasiment à la surface de la peau, donc la blessure était superficielle.
    Il eut un frisson en se rappelant qu'il venait intentionnellement de s'ouvrir la peau avec un scalpel. Il n'aurait jamais eu le courage de faire une chose pareille en temps normal, mais tout était bien loin d'être normal en ce moment.
   
J'ai échappé bel. Un peu plus et je serais sans doute devenu fou...
    La zone était instable. Il était plus que probable que ce ne soit pas la seule dans le secteur à être comme ça. Alors pourquoi l'aurait-on envoyer ici ? Josselin commença à sentir l'embrouille. Le docteur Marsh aurait dû savoir que l'inhibiteur deviendrait incompatible avec l'environnement, mais il ne l'a pas prévenu. Il l'aurait laissé intentionnellement ?

    Ça n'a pas de sens. Il l'a juste... oublié.
Mais Josselin savait bien que c'était faux. Une opération pareille nécessitait une prudence absolue, des tests et des essais attentivement analysés... Ou bien était-il un cobaye ? Josselin avait mal à la tête. Il n'avait pas besoin de se souvenir d'où il se trouvait pour flairer les problèmes qui lui tomberaient dessus. On ne l'avait pas prévenu que tout serait aussi bizarre. Enfin, si ; mais s'il retrouvait son carnet, il irait quand même mieux.
    C'est une mission suicide. Rien de plus.
   
Malgré tout, les voix dans sa tête persistaient. Lointaines, mais présentes. Il fallait bouger avant de d'autres phénomènes se produisent. Sortant de la chambre, Josselin se mit à faire le tour des différentes pièces, prudemment. Il se passait toujours des choses anormales, et certains objets semblaient à la fois réels et fantomatiques. Bien qu'il ne croulait plus sous l'énergie psychique de l'endroit, le malaise ne quittait pas Josselin. Et si la perte de mémoire était permanente ? Il aurait dû se souvenir de plus d'éléments à présent.
   
Et si l'inhibiteur avait bugué et avait affecté ma mémoire ?
   
Il valait mieux ne pas penser à cette possibilité.
    Une fois au bout du couloir, Josselin n'avait rien appris de plus. Il s'apprêtait à ouvrir la porte du fond quand un frisson le parcourut à nouveau. Mais cette fois-ci, son odorat se réveilla sous l'impact d'une odeur nauséabonde, presque violente. Josselin porta sa main à son nez et fit une grimace de dégoût. C'était une odeur de décomposition, quelque chose d'insoutenable et d'inquiétant. Quelque chose qui rappelait la mort. Josselin se retourna et regrettait immédiatement son geste.
    A l'autre bout du couloir gisait un corps. Celui-ci se trainait avec une certaine lenteur, laissant derrière lui une trace verdâtre. Mais ce corps n'avait rien d'humain. C'était un mélange entre un humanoïde et un énorme chien. Ou plutôt un lion, compte tenu de sa taille. La truffe dépassa d'un amas de cheveux tombant raides jusqu'au sol, comme si sa crinière avait perdu toute vitalité et partait en lambeaux. Derrière son cou, tout ressemblait à un corps humain, mais à des proportions démentes.
    Josselin ne se sentit pas bien du tout. L'odeur lui donnait la nausée (et son estomac finissait pas se plaindre d'être complètement vide, ce qui n'était pas le moment) et la vision de la chose le remplit de terreur. Peut-être était-ce encore une hallucination. Peut-être était-il et n'était-il pas vraiment mort. En tout cas, la question ne se posait pas puisqu'il était devant et qu'il se trainait en sa direction. En se plaquant contre la porte, Josselin se rendit compte qu'il s'était reculé un peu trop violemment. La créature leva la tête et le regarda de ses petits yeux à moitié cachés par ses cheveux d'ange. Josselin retint son souffle et trembla. Là, c'était au-delà de tout ce qu'il pouvait accomplir. La créature se redressa, baissa la tête et découvrit ses dents. A partir de là, Josselin poussa la porte et se mit à courir. Il ne savait pas où il allait, mais il courait à perdre haleine aussi loin qu'il pouvait. Aucun moyen de savoir s'il était suivi, il n'avait aucune envie de se retourner. Dans tous les cas, l'odeur était encore bien présente dans ses narines.
    Il traversa plusieurs portes avant de ralentir et de découvrir qu'il avait continué tout droit sans jamais se détourner de sa trajectoire. Le couloir paraissait alors mesurer des kilomètres. Josselin s'arrêta devant une nouvelle porte et se retourna, les sens en alerte. La créature n'avait pas l'air de l'avoir suivi, ou bien elle était si lente qu'elle ne pouvait pas le rattraper. Josselin ne comptait pas vraiment sur cette idée. Néanmoins, il s'aperçut d'une chose troublante. De part et d'autre du couloir se dressaient des portes menant à d'autres chambres. Il s'approcha de l'une d'entre elle et se figea, le souffle court.
   A terre gisait la puce qu'il avait ôté de sa nuque quelques minutes auparavant. Il tournait en rond.
   
Ce n'est pas possible... Quel endroit à la con ! Je veux sortir d'ici maintenant, j'en ai marre... Le carnet peut aller se faire voir, je veux juste sortir d'ici !
    Josselin regarda autour de lui. La créature n'était pas là en tout cas. Il avait vraiment tourné en rond ? Ou cet endroit était-il juste un enfer ?

    Il s'avança jusqu'à la porte du couloir, respira un grand coup, puis la poussa. De l'autre côté s'étendaient des escaliers qui montaient au deuxième étage. Josselin fit quelques pas, tendant le cou pour voir où montaient les escaliers, puis se retourna, perplexe.
    Bon, on va dire que c'est normal...
    C'est en bougeant à nouveau qu'il sentit sous son pied une matière flasque et visqueuse. Une trainée verdâtre démarrait aux pieds des escaliers et suivait chaque marche jusqu'en haut. Josselin déglutit, sa volonté vacillant. Il était hors de question de continuer vers cette trace, quelle que soit la rapidité, la nature ou quoi que soit sur cette chose. Il recula avec angoisse jusqu'à tirer la porte pour revenir en arrière. Mais derrière elle il vit la créature, à moitié couchée au sol, les pattes s'agrippant par terre pour avancer du mieux qu'il pouvait, bavant sa trainée pâteuse sur son passage, les yeux vides couverts de poils. Elle émettait un léger gémissement mélangé à un grognement, et elle posa sa patte juste au pas de la porte, relevant la tête vers Josselin qui était devenu blême. Il n'attendit pas une seconde de plus et lâcha un cri en repoussant la porte aussi fort qu'il put. Il enjamba les marches de l'escalier avec panique, sans faire attention à la trace qui le ralentissait. L'important était d'arriver le plus loin possible pour fuir cette chose qui le suivait.


                                                                                              ***


   La suite arrivera assez tard puisque je pars en vacances !
   Par ailleurs, je m'excuse d'avoir mis si longtemps à reposter, je tiens assez mal mes dates butoirs. Mais c'est surtout parce que je suis en vacances, je vous assure ! A un rythme normal, je bosse vraiment !
   A bientôt donc pour de nouvelles aventures, sans doute pour le 13/14 août !